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Channel: Voix et relation » 8. Didactique de la poésie
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Autour de la notion d’oralité chez Meschonnic

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Le texte qui suit est extrait d’un travail réalisé dans le cadre du cours de Serge Martin, “Théorie et didactique de la littérature”, que j’ai suivi pour mon Master 2 à distance “ Didactique du français langue étrangère/seconde et langues du monde” au premier semestre de l’année 2014-2015.

Je publie deux extraits, dont le premier, ci-dessous, est consacré à ma lecture de Critique du rythme, Anthropologie historique du langage, de Henri Meschonnic, paru en 1982 aux éditions Verdier. (2ème billet : http://ver.hypotheses.org/1420)

AUTOUR DE LA NOTION D’ORALITE

L’oralité : élaboration d’un concept par différenciation. Oralité, écrit, oral, parlé

L’oralité n’est pas l’opposé de l’écrit et déborde la notion d’oral. Ce n’est en tout cas pas l’oral au sens sociologique et ethnologique du terme (le style formulaire enfermé dans des schèmes). Dans Critique du rythme, l’auteur déclare que « l’oralité échappe à la simple opposition avec l’écrit », et que « l’oralité s’étend hors des littératures orales »[1]. Ainsi, la « pluralité des modes de signifier, et des inscriptions de l’énonciation, dissémine l’oralité dans l’écrit comme dans le parlé »[2]. Le parlé se comprend ici comme manière de s’exprimer oralement. Cependant le parlé n’est pas l’oralité. L’oralité peut s’y diffuser, mais pas nécessairement : « Il y a donc des écritures orales, et des discours parlés sans oralité. Il y a les imitations du parlé qui sont aussi autre chose que l’oralité. Autant que le transcrit est autre que l’écrit »[3]. L’oralité est un mode de signifiance fort, dont ne sont pas pourvus tous les discours oraux. Le poème le porte au plus haut point : « La voix qui dit le poème n’est pas la voix qui parle, parce qu’elle ne dit pas la même chose »[4].

Un corollaire du rythme

A toutes ces catégories, Meschonnic préfère la citation de Hopkins : l’oralité serait « “le mouvement de la parole dans l’écriture” »[5]. Ainsi, l’auteur revendique la nécessité de définir une « notion anthropologique et poétique de l’oralité », fondée sur « le primat du rythme et de la prosodie dans le sémantique, dans certains modes de signifier, écrits ou parlés »[6]. Dans la partie « Critique de l’anthropologie du rythme », Meschonnic établit sa conception du rythme, comme matière de sens, et il l’associe par apposition et coordination à celle d’oralité. Les deux notions sont donc indissociables, et indissociables aussi de la notion de sujet (notion elle-même à entendre du côté du processus, de la subjectivisation) : « Le rythme comme sémantique, et oralité, est une subjectivisation spécifique du langage »[7]. Ainsi lié à l’oralité, rappelons que le rythme est « histoire et signifiance du sujet, sur un mode autre que celui du signe, et qui ne se met pas en signes »[8].

Dans l’oralité, le sens comme rapport : le dire et le dit

L’oralité selon Meschonnic n’est donc pas le simple fait de la parole orale, comme nous venons de le voir. C’est, tout comme celle de rythme, une notion qui désigne une activité du sujet, activité de signifiance par laquelle le sens déborde le signe. L’oralité est d’abord une dynamique, et la voie du sens. Or ce mode de signifiance n’est pas fermé. Il rebondit, se forme et se reforme à l’infini, selon les rapports que l’oralité entretient avec ce qui est dit. L’oralité est donc un rapport, une relation, une dialectique pourrait-on dire : la production du sens en tant que rapport entre le dire et le dit. Ainsi Meschonnic pose que l’oralité « est le rapport nécessaire, dans un discours, du primat rythmique et prosodique de son mode de signifier à ce que dit ce discours »[9], ou encore c’est un « rapport nécessaire entre la diction, la voix et le dit » (p. 281). De même que le rythme est « en interaction avec le sens » (p. 82), de même, « l’oralité n’est pas séparable de dire quelque chose, et, dans une certaine mesure, de ce qui est dit. […] Dire n’est pas intransitif. Ce qu’on dit est aussi dans le dire » (p. 280). C’est ainsi que « Changer de diction, c’est changer le poème, le discours » (p. 291) : le sens et la manière dont ce sens se tisse dans une oralité unique.

Historicité de l’oralité, historicité de la voix

La caractéristique essentielle de l’oralité, comme celle du rythme d’ailleurs, est celle d’une double marque, à la fois lieu du plus intime et lieu d’une historicité, collectivité, manifestation culturelle : « l’oralité est historique » (p. 280). Meschonnic souligne dans la même page le « lien de l’historicité et de l’oralité » et rappelle que l’on peut repérer dans les manifestations orales de l’oralité « des traditions du dire » (p. 281). Il illustre ces traditions par plusieurs exemples de poètes ou prosateurs ayant dit leurs textes. Leur idiosyncrasie s’y entend, mais aussi leur inscription historique et sociale. Le sujet (intime) est aussi un individu (social). La diction a un « statut culturel » (p. 280). En ce sens, ce qui est dit de l’oralité se dit aussi de la voix : « historicité de la voix » (p. 280). Meschonnic réitère sur la voix l’articulation intime / collectif qui lui est chère, qu’il a avancée au sujet du rythme, puis de l’oralité : « la voix, votre voix unique, n’est pas seulement individuelle. Elle a, outre ses caractères physiologiques, des marques culturelles situées » (p. 280) ou bien encore « la voix, qui semble l’élément le plus personnel, le plus intime, et comme le sujet, [est] immédiatement traversée par tout ce qui fait une époque, un milieu, une manière de placer la littérature, et particulièrement la poésie, autant qu’une manière de se placer. Ce n’est pas seulement sa voix qu’on place. C’est une pièce du social, qu’est tout individu » (p. 284-285). Et ce « statut culturel de la voix […] fait partie des conditions de production du poème, ou du discours en vers » (p. 280).

Oralité vs oralisation : la voix comme écriture

Si le statut culturel de la voix fait partie des conditions de production du poème, c’est bien que la voix n’est pas seulement après le poème : texte puis diction, le dire après le dit. La voix est dans le poème, en amont de sa diction. Elle le façonne, comme creuset où se sont déposés des liens d’intersubjectivité qui façonnent à leur tour l’émergence d’une voix propre, ici au sens d’écriture. Car la voix n’est pas forcément dans l’oralisation non plus : elle se lit. Et l’auteur oralisera de telle manière que la voix est déjà présente dans son texte. Il y a continuité entre voix et écriture, écriture et voix. Ainsi, Meschonnic, à l’occasion d’une analyse de la lecture de Gogol[10], précise : « Il y a ainsi plus qu’une continuité entre l’écrit et la diction, il y a cette diction parce qu’il a cette écriture. Gogol a la diction de son écriture »[11] . La voix se dit comme elle s’écrit : la voix est écriture.

Pistes didactiques

  • Meschonnic précise qu’une anthropologie du langage est « double, selon le parlé, selon l’écrit. L’oralité n’y est pas la même. Directement accessible à l’anthropologie dans le parlé, elle passe nécessairement pour l’écrit, par une poétique, qui ne peut être qu’une poétique historique, et non formelle, pour situer les modes de signifiance »[12]. La poétique, lorsqu’elle s’intéresse donc aux textes écrits, doit le faire selon une recherche de l’inscription de l’oralité, à travers le primat du rythme. Meschonnic précise que cette entreprise n’est pas des plus aisées, elle passe par la recherche des traces du corps dans l’écrit : « Le plus difficile est de savoir ce qui reste du corps dans l’écrit, dans l’organisation du discours en tant que telle »[13]. Un des éléments d’analyse du texte écrit avec des élèves pourra dès lors se porter sur la ponctuation, pour y traquer le « rythme oral, dont la ponctuation peut justement être le rendu »[14]. On peut s’appuyer par exemple sur le travail réalisé par Gérard Dessons sur les Feuillets d’Hypnos de René Char. Dessons y étudie de manière détaillée le rôle de la ponctuation et de la typographie, du point de vue d’une anthropologie du rythme[15].
  • De manière plus globale, dans une approche de l’oralité, du rythme des textes comme ensembles d’activités encore ouverts et dynamiques, Serge Martin rappelle dans son carnet « La littérature à l’école »[16] que « les œuvres sont toujours prises dans les ciseaux de l’herméneutique et de l’esthétique, du sens et de la forme, du dire et du choisir. Or, ce qui compte c’est de faire vivre les œuvres en privilégiant leur activité, leur force qui est à même de nous faire sujet d’un faire et non d’un répéter ou d’un reproduire, sujet d’une émancipation et non d’une soumission ». Il propose des activités de reformulation car « les reformulations des œuvres ont pour ambition de faire écouter, voir ce que l’œuvre nous fait et d’en poursuivre l’activité »[17]. Plusieurs types d’activités sont proposés, autour du dire-lire-écrire, toujours liés, qui rendront les élèves actifs de leur propre faire, dans la continuité de l’énonciation des œuvres.
  • L’oralité étant une notion à historiciser, il faudra, pour en approcher l’aspect oral, faire écouter aux élèves de nombreux enregistrements de poèmes, par des lecteurs amateurs, des comédiens et par les auteurs eux-mêmes, pour essayer de caractériser l’oralité dans les voix, et leurs aspects culturels. L’expérience est possible grâce à plusieurs sites, selon les auteurs et périodes, dont ceux-ci, déjà fréquenté en cours : http://www.litteratureaudio.com/ et http://wheatoncollege.edu/vive-voix/.
  • Nous manquons ici d’espace pour proposer les activités précises que nous proposerions dans nos classes de FLM / FLS. La présentation détaillée de telles activités fera l’objet d’une partie intégrale de notre mémoire de Master 2, « Poésie en FLS / FLM : pour une didactique de la relation par l’oralité » (titre provisoire), avec l’élaboration d’une séquence didactique articulée autour de textes poétiques au programme, et hors programme.

[1] Henri Meschonnic, Critique du rythme, op. cit., p. 706 pour les deux citations.
[2] Henri Meschonnic, « Qu’entendez-vous par oralité? », Langue française, n°56, 1982. p. 6-23.

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lfr_0023-8368_1982_num_56_1_5145 (consulté le 02 janvier 2015), p. 16
[3] Ibid., p. 14
[4] Henri Meschonnic, Critique du rythme, op. cit., p. 289
[5] Henri Meschonnic, « Qu’entendez-vous par oralité », op. cit., p. 18 Référence chez Hopkins non fournie par Meschonnic.
[6] Idem
[7] Henri Meschonnic, Critique du rythme, op. cit., p. 660
[8] Ibid., p. 690
[9] Ibid., p. 280. Toutes les références suivantes renvoient au même ouvrage, Critique du rythme, op. cit.
[10] Cet exemple d’oralité figure dans Critique du rythme, op. cit., p. 281. Meschonnic y évoque la lecture orale que donne Gogol du Manteau, « tel que le rapporte et l’analyse Eikenbaum ». La référence à Eikenbaum donnée par Meschonnic en note est la suivante : Boris EIKHENBAU, Skvov’literaturu, p. 173-174, traduit dans Tzvetan Tdorov, Théorie de la littérature, Seuil, 1965, p. 214-215.
[11] Henri Meschonnic, Critique du rythme, op. cit., p. 281
[12] Ibid., p. 646
[13] Ibid., p. 654
[14] Henri Meschonnic, « Qu’est-ce que l’oralité », op. cit., p. 16, à propos d’une critique de Barthes qui prétend que le corps se perd dans le passage à l’écrit (cliché de la lettre morte) dans : Roland Barthes, Le Grain de la voix, Entretiens 1962-1980, Seuil, 1981.
[15] Gérard Dessons, Le Poème, Paris, Armand Colin, 2011, p. 149-150
[16] http://littecol.hypotheses.org/98 (consulté le 13 décembre 2014)
[17] Idem.


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